Aimer à la franche marguerite.
Cette locution, employée pour dire être dans une disposition d’amour pleine de sincérité et de confiance, fait allusion à une superstition amoureuse bien connue dans les campagnes, et que je vais expliquer.
Telle est la disposition du cœur de l’homme que, dans toutes les passions qu’il éprouve, il ne saurait jamais s’affranchir d’une sorte de’superstition. On dirait que, ne trouvant dans le monde réel rien qui réponde pleinementaux besoins d’émotion et desympathie produits par l’exaltation de son être, il cherche à âtendre ses rapports dans un monde merveilleux. C’est surtout dans l’amour que se manifeste cette disposition. L’amant est curieux, inquiet, il veut pénétrer l’avenir pour lui arracher le secret de sa destinée. Il rattache ses craintes et ses espérances à toutes les pratiques mystérieuses que son imagination lui fait croire capables de changer la volonté du sort et de la disposer en sa faveur. Il veut trouver dans tous les objets de la nature des assurances contre les craintes dont il est assiégé. Il les interroge sur les senliments de celle qu’il adore. Les fleurs, qui lui présentent son image, lui paraissent surtout propres à révéler l’oracle de l’amour. Lorsqu’il va rêvant dans la prairie, il cueille une marguerite, il en arrache les pétales l’un après l’autre, en disant tour à tour : « M’aime-t-elle? — pas du tout, — un peu, beaucoup, — passionnément, » dans la persuasion que ce qu’il tient à savoir lui sera dit par celui de ces mots qui coïncidera avec la chute du dernier pétale. Si ce mot est pas du tout, il gémit, il se désespère ; si c’est passionnément, il s’enivre de joie, il se croit destiné à la suprême félicité, car la marguerite est trop franche pour le tromper.
Les amoureux villageois emploient aussi la plante vulgairement appelée pissenlit pour savoir s’ils sont aimés. Ils soufflent fortement sur les aigrettes duveteuses de cette plante, et s’ils les font toutes envoler d’un seul coup, c’est un signe certain qu’ils ont inspiré un véritable amour.
Les bergers de Sicile, comme on le voit dans la troisième idylle de Théocrite, se servaient d’une feuille de la plante que ce poête nomme télêphilon (espèce de pavot). Ils la pressaient entre leurs doigts de manière à la faire claquer; car ils regardaient ce claquement comme un heureux présage que leur tendresse ne pouvait manquer d’être payée de retour.
Les jeunes paysans anglais, lorsqu’ils aiment, ont soin de porter dans leur poche des boutons d’une certaine plante qui sont appelés, en raison d’un tel usage : bachelor’s buttons (boutons de jeunes gens), persuadés que la manière dont ces boutons s’ouvrent et se flétrissent dpit leur faire connaître s’ils réussisiront ou non auprès de l’objet de leur passion. Shakspeare a rappelé cette coutume dans les Jogeuses Bourgeoises de Windsor (act. III, se. H).