A battre faut l’amour.
Faut est ici la troisième personne de l’indicatif du verbe faillir, et ce proverbe, tiré du latin, injuria solvit amorem, signifie que les mauvais traitements font cesser l’amour. — Cependant le cas n’est point sans exception. On sait que les femmes moscovites mesuraient l’amour qu’elles inspiraient à leur mari sur la violence avec laquelle elles étaient battues, et qu’il n’y avait ni paix ni contentement pour elles avant d’avoir éprouvé la pesanteur du bras marital. Exper’untia testalnr feminas moscoviticas verberibns placari. (Drex., de Jejutno, lib. I, cap. u.)
Une chanson d’un troubadour anonyme attribue le même goût aux filles de Montpellier.
Las castanhas al brasier
Peton quan no son mordudas ;
Las fillas de Mounpelier
Ploron quan no son battudas.
Ce qu’un ancien traducteur a rendu vers pour vers de cette manière :
Les châtaignes au brasier
Pètent quand ne sont mordues ;
Les filles de Montpellier
Pleurent quand ne sont battues.
On voit dans le Voyage en Grèce de Pouqueville que les femmes albanaises considèrent comme des marques d’amour les coups qu’elles reçoivent de leur mari.
Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, si connu dans l’histoire sous le nom de Guillaume le Conquérant, fit longtemps une cour assidue à Mathilde de Flandre, qui le traitait avec une froideur dédaigneuse. L’ayant rencontrée, en 1047, dans une rue de Bruges, lorsqu’elle revenait de la messe, il la saisit, la renversa, la roula dans la boue et la battit outrageusement. La jolie Mathilde, soit que cette déclaration d’amour un peu brutale la convainquît de la violente passion de son amant, soit que la peur de le voir réitérer la même scène la disposât mieux pour lui, le traita désormais avec moins de rigueur et consentit enfin à l’épouser en 10à2. Les deux époux devinrent des modèles de tendresse conjugale. Cette anecdote est rapportée dans la Vie de la reine Mathilde, etc., par Strickland, t. I, ch. i.
Au reste, la violence dont usa Guillaume envers Mathilde était une conséquence logique de la passion qu’il avait’ pour elle, et on a vu maintes fois, avant lui et après lui, plus d’un amoureux dédaigné outrager publiquement sa belle inhumaine, dans l’espérance qu’un tel outrage l’empêchant de trouver un autre époux, elle consentirait enfin à s’unir avec lui.
Il y a encore une exception très-remarquable au proverbe, et ce sont les deux amants les plus célèbres qui l’ont fournie. Abeilard fustigeait quelquefois son Héloïse, qui ne l’en aimait pas moins. Lui-même, parlant à elle-même, rappelle la chose dans une de ses lettres, où il confesse d’un cœur contrit les scandaleux excès de sa passion immodérée : In ipsis diebus dominical Passionis, te nolentem ac dissuadentem sxpius minis ac flagellis ad consensum trahebam. — « Les jours mêmes de la Passion du Seigneur, lorsque tu me refusais ce que je demandais ou que tu m’exhortais à m’en priver, ne t’ai-je pas souvent forcée par des menaces et des coups de fouet à céder à mes désirs? »
Ausone avait deviné le cœur d’Héloi’se, lorsqu’il disait en peignant les qualités d’une maîtresse accomplie (épigr. Lxvh) : « Je veux qu’elle sache recevoir des coups, et qu’après les avoir reçus elle prodigue ses caresses à son amant. »
L’auteur des Mémoires de l’Académie de Troges, facétie spirituelle attribuée au comte de Caylus, mais que l’on croit plus généralement être de Groslcy, a examiné d’une manière plaisante jusqu’à quel point est fondée l’opinion que battre est une preuve d’amour. Voyez dans cet ouvrage (pag. 205 et suivantes) la Dissertation sur l’usage de battre sa maîtresse.
Après tant de faits généraux et particuliers, qui contredisent le proverbe, ne serait-on pas tenté de croire qu’il est l’expression d’une opinion erronée, et que Sganarelle a raison de dire à sa femme, à laquelle il vient de donner des coups : « Ce sont petites choses qui sont de temps en temps nécessaires dans l’amitié, et cinq ou six coups de bâton entre gens qui s’aiment ne font que ragaillardir l’affection. » (Médecin malgré lui, act. I, se. m.) •