Un mari est toujours le dernier instruit de la conduite de sa femme

Un mari est toujours le dernier instruit de la conduite de sa femme.

Cette observation proverbiale est de tous les temps et de tous les lieux, car toujours et partout les femmes ont eu l’art d’épaissir la membrane de l’œil des maris, pour ne pas leur laisser voir ce qu’elles jugent à propos de leur cacher.

Que d’autres leur reprochent l’usage ou l’abus de cet art, qu’ils en recueillent et racontent les traits plus ou moins perfides, afin d’amuser la malicieuse curiosité du public : je me garderai de les imiter. Je hais la manie trop commune de ne considérer l’esprit des femmes que par ses mauvais côtés, et de détourner la vue des bons côtés qu’il peut offrir, même dans ses artifices. Eh! pourquoi ne pas reconnaître que, si elles ont le tort de faire de leurs maris de véritables sots, elles y joignent, par compensation, le mérite de les empêcher de s’apercevoir qu’ils le sont, et de les entretenir dans une flatteuse illusion tout à fait propre à les rendre heureux? En vérité, ces messieurs sont bien ridicules de blâmer l’adresse qu’elles mettent à les tromper. C’est une excellente chose qu’ils devraient mieux apprécier : leur intérêt les y engage. Malheur à ceux qui sont trop clairvoyants pour les tromperies féminines. Il ne leur en revient que des désagréments, des ennuis, des tribulations, qui ne font qu’ajouter à leur infortune, tandis que ceux qui acceptent leur sort sans y regarder, persuadés qu’il y a plus de sagesse à l’ignorer qu’à chercher à le connaître, vivent en parfait accord avec leurs infidèles, toujours plus attentives, plus douces, plus affectueuses, plus complaisantes pour eux, en raison de la débonnaireté qu’ils ont pour elles.

C’est un des points fondamentaux de la philosophie conjugale qu’il n’y a point de salut pour les maris sans la foi. Je ne prétends pas que cette foi si nécessaire les mette à l’abri de fâcheux accidents : celui qui l’a et celui qui ne l’a pas y sont exposés de même, et sont également sujets à figurer au rang des sots. Mais je soutiens qu’il vaut cent fois mieux être un sot crédule qu’un sot incrédule : l’un trouve le paradis dans son ménage, l’autre y trouve l’enfer.

Je n’ai . pas besoin de dire lequel des deux rôles est préférable. Je remarquerai seulement que beaucoup de maris de notre siècle aiment mieux jouer le premier. Ils évitent soigneusement de porter un regard indiscret sur la conduite de leurs femmes. Ils n’attendent pas d’être aveuglés par elles ; ils s’aveuglent eux-mêmes à plaisir, et, suivant un proverbe espagnol, ils font comme L’escargot, qui, pour se délivrer d’inquiétude, échangea ses yeux contre des cornes.

El caracol, par quitar de enojos,
Por los cuernos troco los ojos.

Ce proverbe fort original, usité aussi dans le midi de la France, est fondé sur une tradition populaire qui nous apprend que l’escargot, qu’on suppose aveugle, avait été créé avec de bons yeux, mais qu’étant sans cesse exposé à les avoir blessés en rampant sur la terre ou sur les buissons, il pria Dieu de les lui ôter et de les remplacer par des cornes, dont il espérait retirer plus d’avantage, ce qui lui fut octroyé.

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